Primo Levi

Le 31 juillet 1919, Primo Levi voit le jour dans la pièce même, dit-on, qui deviendra son bureau, Corso Re Umberto à Turin. Sa famille est aisée et son père étant bibliophile, il a accès très tôt aux livres et plus particulièrement aux ouvrages scientifiques de vulgarisation.
En 1934, il entre au Lycée Massimo d'Azeglio au moment où les fascistes ont déjà "épuré" le corps professoral. Toutefois, la répression ne sévit pas encore et l'enfant juif qu'il est souffre peu des réformes de Gentile devenu ministre de l'Instruction publique sous le premier gouvernement de Mussolini.
C'est à quatorze ans que Primo Levi décide d'être chimiste, à la recherche de la clé de l'univers et d'une poésie qu'il ne trouve pas dans ses manuels de littérature. De 1937 à 1941, il suit les cours à l'Institut de Chimie et obtient son doctorat avec mention et félicitations du jury.
Son premier emploi consiste à déceler les traces de nickel dans les veines de la mine de Blangero. Isolé sur ce territoire, il écrit deux nouvelles: "Plomb" et "Mercure" (parues dans le "Système périodique"); ensuite, il travaille pour la firme suisse Wander, à Milan. Dans cette ville, il retrouve un groupe d'amis adeptes comme lui des randonnées en montagne et victimes, comme lui, des lois antijuives. C'est à ce moment que ces jeunes gens vont prendre conscience de la gravité de la situation. Leur maturation politique fut lente et ils ne sont pas encore mobilisés lors de la destitution de Mussolini. L'invasion du nord de l'Italie par les Nazis marque l'éveil définitif: les amis prennent le maquis. Primo Levi va rejoindre le groupe de Guido Bachi. Partisans désarmés et souvent démunis, ils sont une proie facile pour les miliciens zélés qui les font prisonniers. Après un mois dans une cellule à Aoste, il est envoyé au Camp de Carpi Fossoli qui passe sous commandement allemand au printemps 44. Le 22 février, les 650 Juifs de Carpi Fossoli sont déportés dans le plus grand camp d'extermination, Auschwitz. Primo Levi est parmi les 96 hommes sélectionnés pour le travail; les autres sont gazés. Malade, affaibli, il doit attendre le 1er juillet 45 pour commencer le long voyage du retour à travers l'Europe orientale en ruine. Il rentre à Turin le 19 octobre pour apprendre que tous les membres de sa famille ont été épargnés.
Il éprouve alors le besoin urgent de témoigner, d'organiser le fruit d'une observation attentive qui ne s'est jamais relâchée pendant les mois de détention. Cependant, son essai, "Si c'est un homme", ne suscite que peu d'intérêt. Déçu, il reprend son métier de chimiste et il n'écrira plus avant 1961.
C'est alors qu' encouragé par un ami, Primo Levi se met à rédiger le récit de son retour d'Auschwitz en Italie: "La Trêve" paraît en 1962. L'ouvrage rencontre cette fois la faveur du public et sera couronné par le Prix Campiello.
En 1966,"Si c'est un homme" est mis en scène et reçoit un accueil enthousiaste: Levi a travaillé à l'adaptation pendant deux ans.
A partir de 1965, il entreprend un travail pédagogique auprès des lycéens: il voyagera pendant 20 ans pour raconter ce qu'il a vécu et répondre aux questions des jeunes.
En 1975, il prend sa retraite et quitte la direction d'usine (pour la SIVA) dont il s'est occupé depuis sa libération. Il peut se consacrer à un travail plus créatif, du moins le croit-il. Hélas, sa mère devenue hémiplégique lui réclamera soins et présence.
En 1979, "La Clef à molette" - sur le thème du travail - remporte le Prix Strega et 1984 est l'année de la reconnaissance internationale.
Pourtant, Levi connaît des périodes de dépression liées en partie au contexte familial et à son état de santé. Le 11 avril 1987, il se donne la mort en se jetant dans le vide, derrière la cage d'ascenseur, Corso Re Umberto.

Si c’est un homme

Pour dire ce livre d'un homme qui, dans le pire, sut préserver sa dignité et celle de ses compagnons d'infortune, je ne puis que lui rendre la parole, cette parole contre l'oubli qu'il ne cessa de faire entendre dans sa vie d'après les camps

Si c’est un homme
Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons,
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis,
Considérez si c’est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connaît pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain,
Qui meurt pour un oui pour un non.
Considérez si c’est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu’à la force de se souvenir,
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver.
N’oubliez pas que cela fut,
Non, ne l’oubliez pas :
Gravez ces mots dans votre cœur.
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant ;
Répétez-les à vos enfants.
Ou que votre maison s’écroule,
Que la maladie vous accable,
Que vos enfants se détournent de vous.

J'ai lu ce superbe témoignage d'humanité qui même confrontée à l'Horreur la plus extrême, possède toujours le libre arbitre moral pour choisir entre l'avilissement ou son contraire, la grandeur!

Merci Sourifleur, pour ce beau complément (compliment aussi) en images....

De rien, Sybilline, et j'adore ton image!

Souripuce

« Si Primo Levi est partout reconnu comme figure emblématique du témoin de l’extermination, sa poésie n’a guère retenu l’attention ; elle tient pourtant une place centrale dans son œuvre […] Dans une langue très simple en apparence, elle dessine la figure ambiguë du survivant, elle prête la parole aux morts en vain, aux engloutis, mais aussi à des animaux méprisés, à des inanimés ». nous dit François Rastier.

Voici donc quelques beaux poèmes de primo Levi :

Voix
Voix muettes depuis toujours, voix d’hier ou à peine éteintes ;
Tends l’oreille, et tu en saisiras l’écho.
Voix rauques de ceux-là qui ne savent plus parler,
Voix qui parlent mais ne savent plus dire,
Voix qui croient dire,
Voix qui disent et ne se font pas entendre :
Chœurs et cymbales pour faire passer en contrebande
Le sens dans un message qui n’a pas de sens,
Pur chuchotement pour laisser croire
Que le silence n’est pas le silence.

Pieds en sang, terre maudite,
La cohorte est longue dans les matins gris.
Fume la Buna aux mille cheminées,
Tel que les autres jours, un jour nous attend.
La sirène est terrible à l’aube :
"Vous, multitude aux visages éteints,
Sur la monotonie atroce de la boue,
Un nouveau jour de souffrance est né."

Camarade épuisé, je peux voir dans ton cœur,
Et je lis dans tes yeux, camarade souffrant.
Dans ta poitrine, il y a le froid, la peur, le rien,
Tu as brisé en toi la dernière valeur.
Camarade gris, tu fus un homme fort,
Près de toi une femme marchait.
Camarade vide qui n’a plus de nom,
Homme désert qui n’a plus de larmes,
Si pauvre que tu n’as plus mal,
Si fatigué que tu n’as plus peur,
Homme éteint qui fus un homme fort :
Si jamais nous nous retrouvions face à face,
Là-haut dans la tendresse ensoleillée du monde,
Quel visage aurions-nous l’un pour l’autre, lequel ?

Entretien

Mais dans les camps de concentration, on s'adaptait à tout ?
Primo Levi : "Votre question est curieuse. Celui qui s'adapte à tout, c'est celui qui survit ; mais la majeure partie ne s'adaptait pas à tout et mourait. Elle mourait faute de pouvoir s'adapter, même à des choses qui semblent banales aujourd'hui, aux chaussures par exemple. On nous jetait une paire de chaussures, enfin pas une paire de chaussures, deux chaussures dépareillées, une avec un talon, l'autre sans ; il fallait une carrure d'athlète pour apprendre à marcher comme ça. L'une était trop petite, l'autre trop grande. Il fallait procéder à des échanges compliqués et si on avait la chance, on pouvait avoir une paire de chaussures presque assortie et il fallait s'en contenter. La plupart du temps, les chaussures blessaient les pieds et celui qui avait des pieds délicats finissait par avoir de l'infection aux pieds. Je suis passé par là et j'en garde encore des cicatrices. Miraculeusement, mes plaies ont guéri toutes seules malgré le fait que je n'aie perdu aucun jour de travail. Celui qui était sensible aux infections mourait à cause des chaussures, à cause des pieds infectées aux pieds qui ne guérissaient plus. Les pieds gonflaient et plus ils gonflaient, plus ils étaient à l'étroit dans les chaussures et les gens finissaient par aller à l'hôpital mais ils n'y étaient pas admis parce que les pieds gonflés, ce n'était pas une maladie. C'était un mal tellement répandu que celui qui avait les pieds gonflés allait directement à la chambre à gaz."

.